Je ne suis pas « doux rice ».

<<Je m’appelle Doris. Pas Dorice, comme se plaisent à dire ces messieurs dragueurs de patrons. Non, je ne suis pas Doux Rice. Je ne l’ai jamais été et jamais ne le serai-je. >>

Assise au volant de sa voiture, Doris était plongée dans ses réflexions. Klaxons, bruits de moteurs, crissements de pneus, freinages et bavardages lointains n’avaient aucun effet… elle était tellement concentrée que rien ne pouvait la faire participer à la réalité du moment. La douce et fine pluie qui s’abattait sur la capitale économique du Bénin malgré le soleil couchant, donnait encore au paysage de l’aéroport international Cardinal Bernadin Gantin, un aspect enchanteur. Elle chantonna djidja man lêou…, le sourire aux lèvres. Oui, cette belle chansonnette que la ribambelle de nos quartiers entonne à cœur joie toutes les fois que le woutoutou (tourterelle) lance son cri annonciateur de la tombée de dame pluie. Qu’elle les surprenne fine ou drue, la joyeuse marmaille chante de plus belle djidja man lêou…, pendant les moments de détente, surtout par ces temps de vacance…

Doris sourit en contemplant le ciel. Le parking du supermarché Erevan  était encore plein. La pluie tombant  n’empêchait pas les va-et-vient. Fallait-il démarrer ? Et ce goslow (bouchon) inchangé de tous les soirs de l’autre côté du pont… Elle soupira.

« Doris, tu es belle, tu es gracieuse, tu es élancée comme toutes nos filles et tu as les atours bien ficelés » lui avait une fois dit  sa grand-mère.

Responsable Marketing et Communication dans la succursale béninoise d’une des grosses firmes de courrier express, Doris avait tout pour plaire. Quel client, quel partenaire n’a jamais rêvé avoir Doris comme compagne. Des jeunes, des adultes d’un certain âge comme on les appelle, des gros, des grassouillets, des mariés, des peu sérieux et des pas sérieux. Doris était adulée. Mais elle n’était pas pour autant la proie facile. Pas un seul de ces multiples dragueurs n’arrivait à tirer le drap de son côté pour y découvrir la callipyge sous le jour d’Adam. Malgré les promesses de promotion, de voyage, de voiture, de valises pleines, de bijoux, de maisons et autres matériels, elle tenait fort à ses idéaux de femme droite et fière.

« Oui je  m’appelle Doris. Pas Doux rice, comme se plaisent à dire ces messieurs dragueurs de patrons.. Non, je ne suis pas Dorice. Je ne l’ai jamais été et jamais ne le serai-je. »

Le téléphone sonna. Le message reçu la sortit de ses pensées. Frénétiquement elle ouvrit son sac à main, le fouille quelques secondes et l’en sortit. Une Samsung Galaxy Eight Lite que lui avait offert son frère Choder, travaillant au siège de la firme coréenne. Doris pouvait se targuer d’être l’une des rares africaines à avoir en avant-première et pour essai, ce téléphone portable. Ils étaient une poignée de personnalités à l’avoir à part les sultans et autres richissimes des Emirats, de Dubaï, le Président Patrice Talon, Aliko Dangoté et un certain Rémy Tohou, haut gradé de la hiérarchie militaire des Casques Blancs africains.  Le message qu’elle reçut n’a pas semblé lui faire plaisir. Bien au contraire, elle lança « mon a nan ko vêdo » (c’est ce que tu crois), puis jeta le téléphone sur la banque arrière.

Tout a commencé la semaine dernière lorsqu’en plein dîner d’affaires, et pendant qu’elle se servait sa portion de gâteau flan, elle sentit deux grosses mains se poser de part et d’autre de sa hanche avec la légère pression d’un buste dans son dos. Elle sursauta puis tourna le regard et fut surprise de voir son vis-à-vis sourire. C’était Akim Fitini Kinsley.

Akim Fitini Kinsley « Akif » ou « I Kif » pour les intimes comme il aime bien se présenter, était le représentant de la firme en Afrique de l’Est avec résidence au Nigéria. C’est le genre de type trapu, les cheveux touffus  avec une large raie de côté, bedonnant et mal rasé. Toutefois, cette description physique tranche avec sa gentillesse et ses prévenances qui n’ont pas d’égal… Akim est celui qui n’oublie jamais les anniversaires, se rappelle que vous n’avez pas pris votre café le matin, est prêt à vous ramener chez vous etc… ces petites choses qui font briser la glace et baisser la garde de ces dames. Oui, ‘’I kif’’ (prononcer aï kif comme en anglais) sait prendre soin. Mais tant de prévenance cachait ce que certaines langues ont appelé le péché mignon…

– Je suis Akim Fitini Kinsley dit « Akif » ou « I Kif » et vous me plaisez… Je vous kiffe quoi .

Doris tomba des nues. « Ben dis donc le grassouillet » se dit-elle. Pour toute réponse elle lui dit « bonsoir Monsieur Akim »

– Oh no my dear, pas ça. Appelle-moi Akif please.

– Hum…

– Belle soirée n’est-ce pas ? Je vous sers un peu de champagne ?

Habituée à ces soirées pour avoir dîné avec bon nombre de clients dans le cadre professionnel, elle n’avait vraiment pas le choix, surtout en face du patron. Akif revient avec trois coupes de champagne et s’empressa d’en gober une. De sa main droite il tendit des olives à Doris qui en prit une boule. Embarrassée par le bruit de manducation des boulettes d’olives, elle tourna la tête et fit semblant d’échanger des civilités avec un passant.

– Vous habitez loin Doris ?

– Non, mais mon chauffeur m’attend. Je ne tarderai plus.

– Tu sais Doris, vous me plaisez you know… ? Fit-il en lui décochant un sourire qui fit apparaître deux dents de bonheur.

Il paraît que l’on ne peut résister devant un sourire qui fait apparaître des dents de bonheur dans toute leur blancheur… Ce petit espace qui se découvre entre les incisives supérieures ou inférieures, ou encore entre les deux, en fait frémir plus d’un et participe grandement au jeu de la séduction. D’ailleurs la collègue Vanessa s’en croit au paradis en riant à tout va, là-bas au fond de la salle.

– Vous savez quand j’étais à l’université de langue à Cambridge, on nous avait servi du rice, euh… du riz un jour et comme c’était pas bon, j’ai crié à l’intendant « le rice n’est pas doux ». Et depuis ce jour des amis m’appellent Dourice ou Mister Rice. Oh ma darling je veux que tu sois ma dourice. Dorice Doris.

Tout ceci était dit avec un accent anglais. L’on pouvait entendre « Doux raïce » ou « Do rice »

– Doris, won’t you cook Rice ? Won’t you cook mister Rice, Doris ? I love you so much than I never been before. Na de way you dey be… If you do me, I go do you, man no go vex.  You no go go, I no go let you go*

Doris ne put s’empêcher de rire face à ce mélange d’anglais et de Pidgin nigérian, aussi appelé Broken English (Anglais cassé).

– Mister Akim, je vous ai entendu mais voyez-vous, nous avons des règles dans la firme et vous êtes de ceux qui sensibilisent au respect de nos procédures. De plus je suis fiancée et ne peux pas emprunter une double voie…

– This no be wahala at all ! ** Je sais que vous y réfléchirez.

Toujours assise au volant de sa voiture, Doris revoyait toute la scène ainsi que toutes les manigances d’Akif. Les coups de fil noctures, les sms et autres messages instantanés whatsapp. Les émoticônes et autres images pour souhaiter bonne nuit. Une image ou une histoire pour rire, une caricature ou une chanson,  pendant de longs jours, Akif était le premier à dire bonjour et le dernier à écrire avant qu’elle ne s’endorme. Tout cela commença par l’agacer et à l’encombrer. Puis, ce fut l’ultime goutte d’eau…

Hier après la visite de nouveaux prospects  afin de développer le portefeuille des clients, ils firent un arrêt dîner au Restaurant Les Hirondelles.

Située à la descente du nouveau Pont Emile Derlin Zinsou reliant Calavi à Porto-Novo par-dessus le fleuve, Le Restaurant Les Hirondelles est la toute nouvelle ‘’table’’ qui n’eut point besoin d’enseigne pour voir s’amplifier sa renommée. Raffinée, accueillante et originalement construite sur pilotis bétonnés, il laisse à ses hôtes le goût de la cuisine authentiquement béninoise. La gérante Monique laisse ses clients choisir entre l’ambiance chaleureuse de la salle de restauration aux 100 couverts ou le charme du patio verdoyant agrémenté de diverses œuvres d’art contemporains des artistes comme Anselme Quenum, Constant Degbey, le tout respirant dans des sonorités musicales de John Arcadius, Zénab et la diva Angélique Kidjo…

Le dîner se déroula assez bien. A maintes reprises, Akim s’arrêtait de manger pour  »boire » des yeux toute la beauté qui s’exhalait de la créature en face. Lorsqu’une fois leurs yeux se croisèrent il lui serra la main gauche en lui faisant un clin d’œil…

Retour à Cotonou. Un tour dans son bureau pour télécharger le plan d’affaires du dernier client visité, Doris était concentrée à son travail… Sans que le moindre bruit ne l’eût pu faire deviner, elle fut surprise devant la photocopieuse par l’éteinte de Mister Rice. Il l’attrapa littéralement, vigoureusement, la plaqua contre un poteau au milieu de la salle et voulut l’embrasser. Elle le repoussa de toutes ses forces puis s’engagea une course dans la salle. Une liasse de papier s’envola, une agrafeuse tomba puis un fauteuil roula et alla cogner la vitre de l’autre côté.

– Mister Akim, mind yourself !***

– You no fit run oh, I swear! ****

Le bouton du corsage de Doris sauta. Elle parvint tant bien que mal à se déchausser. Puis le coup partit ! Un cri, un hurlement : Akim saignait du visage. Le talon de la chaussure lui avait ouvert l’arcade sourcilière. « You bitch ! » hurla-t-il de douleur.

Toute décomposée, Doris sortit en lui lançant :

– Je m’appelle Doris. Pas Dorice, Non, je ne suis pas Doux rice. Je ne l’ai jamais été et jamais ne le serai-je. Je ne suis pas comme ces filles faciles à qui vous donnez la promotion contre droit de cuissage. Avounyiyon ! (chien pourri)

Dehors, elle démarra sa voiture en trombe. Les agents de sécurité en faction ne comprirent rien mais y allèrent de leur commérage en rigolant… Toute la nuit Akif n’a pas cessé d’envoyer des messages et de demander pardon. Doris garda tous ces messages sur son compte Cloud et se rendit en consultation cette nuit à la clinique où elle obtint un certificat attestant de la présence d’hématomes sur le corps… Elle en informa sa mère puis décida de se rendre chez son avocat-conseil le lendemain dans le cadre de mesures préalables avant toute déclaration à son employeur basé aux Etats-Unis d’Amérique…

La pluie n’a pas cessé à Erevan. Doris écoutait de la musique. Une petite larme dans le coin des yeux qu’elle s’empressa d’essuyer avant de démarrer. Akif n’est pas venu au bureau ce jour. Le rendez-vous avec l’avocat n’a pu tenir car ce dernier était absent… Une peur la saisit. Peur de perdre son emploi, face aux accusations éventuelles de son agresseur de patron. Mais elle a bien pris ses dispositions et se reprit, puis cria seule dans la voiture : « je m’appelle Doris ! Pas Dorice, Non, je ne suis pas Doux rice. Je ne l’ai jamais été et jamais je ne serai. Je ne suis pas comme ces filles faciles, fesses et têtes en l’air à qui vous donnez la promotion contre droit de cuissage. Avounyiyon ! »

Quelle sera la suite de cette histoire ? Perdra-t-elle son boulot ? Et Akif cherchera-t-il à porter préjudice à la belle Doris ?

A bientôt pour une autre chronique : petite histoire et récit du quotidien.

Traductions :

* Doris, ne veux-tu pas cuire du riz ? Ne veux-tu pas cuire Monsieur Riz ? Je t’aime plus que jamais. C’est ta façon d’être… Si tu me fais, je vais te faire ; l’homme ne va pas se vexer. Tu ne t’en iras pas ; je ne te laisserai pas partir.

** Ce n’est pas du tout un problème

*** Monsieur Akim, méfiez-vous !

**** Tu n’as pas intérêt à fuir hein, je te le jure !

Copyright : mardi 02 août 2016.

6 commentaires sur “Je ne suis pas « doux rice ».

  1. Les larmes ont eu raison de moi pendant la lecture.
    Histoire improvisée pour toi Fulgence mais du vécu pour moi. Je reste victime de ma « beauté ».

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  2. Très belle histoire! Plus ca passe, et mieux ca.se présente! Merci l’écrivain…Suis restée sur ma fin néanmoins! J’espère que la suite nous sera donnée bientôt!

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  3. Merci une fois encore l’artiste. Tes histoires imaginaires et/ou inspirées des faits reels sont comme ces casse-croûte, ces amuse-gueule. Des histoires coustillantes, délicieuses, amusantes que l’on a envie de dévorer et finir en même temps, tout de suite. Mais les croquer patiemment, petit à petit, fait durer le suspens et « creuser » le ventre pour apprécier la suite.
    Merci au clin d’oeil aux hirondelles.
    Bravo and just keep it up.

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  4. Merci une fois encore l’artiste. Je veux parler de Fulgence.
    Tes histoires imaginaires ou réelles et/ou inspirées des faits réels sont comme ces casse-croûte, ces amuse-gueule. Des histoires coustillantes, délicieuses, amusantes que l’on a envie de dévorer et finir en même temps, tout de suite. Mais les croquer patiemment, petit à petit, fait durer le suspens et « creuser » le ventre.
    Bravo et just keep it up.

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  5. Je suis en extase ….Fulgence tu vas me tuer. Ton imagination est trop fertile. Merci pour cet honneur que tunle fais. I no go gooooooo. Je ne suis pas doux rice.. Je suis Ré mi et Do re(ris) me précède. Merci et bravo l’artiste !

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